"Domine jusqu'au coeur de l'ennemi"

En ce temps de l’Avent – temps d’attente et de désir –, la parole du Notre Père « que ton règne vienne » ne doit pas nous laisser indifférents. Mais de quel roi et de quel règne parlons-nous ?

« Domine jusqu’au cœur de l’ennemi ».

Ces quelques mots du Psaume 109 reprennent la parole de Dieu adressée à son Fils, « le Messie vainqueur, roi et prêtre ». Ils nous révèlent en profondeur la nature singulière de ce règne à venir, annoncé et proclamé depuis tant de générations.

« Domine »

La domination ... voilà bien un mot à nous donner de l’urticaire. Qui, aujourd’hui, accepterait d’être dominé ? « Ni Dieu, ni maître ! », soit libre et fait ce qu’il te plaît : voilà la devise de nos sociétés occidentales. Et à raison lorsque l’on voit la trempe des rois, des empereurs et autres chefs de clan qui ont marqué l’Histoire de l’humanité. Mais voilà, le Roi annoncé en cette période de l’Avent n’est pas « de ce monde » (Jn 18, 33-37). J’en veux pour preuves la mangeoire de Noël, l’ânon des Rameaux et la Croix de la Semaine Sainte qui dénotent incontestablement face à nos châteaux de Versailles et autres diadèmes en tout genre.

Vous me direz : « quand bien même ! ». Qu’un roi siège sur un ânon ou sur un noble destrier, il n’en reste pas moins le maître : celui qui domine, qui asservie, qui entrave, qui prive de liberté ...

« Jusqu’au cœur »

... Oui mais voilà. Ce Roi que nous attendons est un maître un peu particulier. Il ne s’intéresse pas avant tout à l’esprit, ni au corps ... mais bien plus : au cœur de l’Homme. Cela signifie quelque chose encore d’inconnu pour nous. Cela signifie que cette domination est d’essence pleine de liberté ! L’Homme n’a jamais connu que, et ne connaîtra jamais que, la domination du corps et de l’esprit de l’autre (propagande, chaînes, entraves, drogues, ... publicité, etc.). Mais le cœur, quant à lui, ne peut être dominé sans consentement ; car le cœur est libre de battre pour celui qu’il aime. Le cœur ne peut être forcé. Le cœur ne peut être entravé. Voilà donc le siège de la liberté de l’Homme. Aucun Homme, aucun dieu, pas même le Christ, ne peut asservir un cœur. Ainsi, si ce Fils « domine jusqu’au cœur » c’est donc que l’Homme a accepté de se laisser attirer (Jn 12,32), de se laisser séduire par ce Roi.

Voici donc venir le règne de Celui qui domine avec notre pleine adhésion et notre pleine liberté ... par le « oui » de nos cœurs. Voici venir le règne, encore (trop) inconnu de l’humanité : la domination amoureuse où chacun est appelé à se soumettre (à se mettre sous) l’Amour ... à condition que son cœur l’accepte.

« De l’ennemi »

Etymologiquement, l’ennemi est celui qui n’est pas l’ami. Et puisque le mot ami vient de la racine « amare » signifiant aimer, nous pourrions dire que l’ennemi est celui qui n’aime pas et n’est pas aimé. Chacun porte en soit cette part d’ « ennemi » qui se refuse au Roi ... par orgueil évidemment, car chacun voudrait être maître en sa propre demeure (bien que Freud ait admirablement montré à quel point cela est illusoire).

Or, en s’acceptant finalement « dominé jusqu’au cœur », une conversion radicale s’opère en l’Homme. Il retrouve sa véritable nature. Libéré de l’orgueil – qu’il croyait être sa liberté (« je fais ce que je veux, quand je veux ») –, il redevient l’ami et se redécouvre : un être créé par l’Amour et pour l’Amour, capable d’aimer et d’être aimé. Et par-dessus tout, il se découvre être le fruit d’un Désir divin car Dieu a aimé le premier.

Voilà quel Roi est proclamé à travers le monde en ce temps de l’Avent. Voilà quel règne est attendu et désiré par toute la famille chrétienne. Et voilà enfin ce qui devrait nous rappeler à tous, chrétiens ou non, croyants ou non, que la foi n’est en rien une soumission intellectuelle aveugle à une doctrine humaine ... mais l’attachement amoureux à une Personne et le désir de la servir, lui plaire et la suivre sur les chemins de ce monde.

D’abord le cœur aime, ensuite l’esprit et le corps obéissent ... en toute liberté : car c’est le cœur qui a fait son choix.